25 ans avec les Écrivaines et Écrivains Associés du Théâtre
J’étais parmi les plus jeunes de la bande. Ca y’est, je suis vieux ! Viens au coin du feu, que je te raconte mon histoire aux E.A.T, les embrassades, les engueulades, la vie quoi, le bordel ! Et si la liste des noms que tu ne connais pas est trop longue, passe à la ligne suivante en attendant d’y revenir et de la saisir sur internet pour connaître un peu mieux ces auteurs vivants ou disparus qui ont tous contribué à faire ce que sont les E.A.T aujourd’hui.
Je me souviens d’un texte fondateur de Jean-Michel Ribes, présentant l’auteur classique comme un tueur aux gants blancs de l’auteur contemporain : les jeunes metteurs en scène d’alors, s’ils souhaitaient collecter quelques subsides d’argent public, devaient impérativement revisiter les monuments du répertoire et s’acquitter de leur dime envers le patrimoine, car le mot matrimoine n’existait pas encore.
Ce texte écrit à la naissance des E.A.T avait considérablement retenu mon attention car j’étais à la tête d’une compagnie explorant exclusivement le répertoire dramatique contemporain.
J’écrivais pour le théâtre, mais il fallait être édité pour rentrer aux E.A.T : six mois après, je signais mon premier contrat d’édition aux éditions de la Traverse pour une pièce dont le succès ne s’est jamais démenti depuis.
Mais je ne connaissais ni les conditions d’exercice du métier, ni les réseaux de diffusion, ni les innombrables subtilités de la production théâtrale. Je ne connaissais personne. Je me cherchais un Maître, blanchi sous le harnais et auréolé de gloire, qui peut-être daignerait me donner un conseil ou deux pour progresser.
Peu de temps après, je travaillais alors sur un texte de Jean-Pierre Siméon, que j’avais rencontré en éprouvant la sensation intense d’avoir croisé, pour la première fois de ma vie, un grand et vrai poète. Alors je l’ai appelé et je lui ai demandé ce qu’il pensait des E.A.T. Il m’avait répondu qu’ils se réunissaient une fois par mois et que le meilleur moyen de me faire une idée, c’était de me rendre à cette réunion à laquelle j’étais bienvenu.
Je me souviens. C’était à la Maison des Auteurs. J’étais au milieu d’auteurs prestigieux (on ne disait pas encore autrice) que je n’avais fréquenté qu’au sein de ma bibliothèque : Christian Rullier, Xavier Durringer, Jean-Paul Alègre, Michel Azama, Jean-Michel Ribes, Victor Haïm, Jean-Claude Grumberg, Jean-Gabriel Nordmann, Roland Dubillard, Denise Chalem, Claudine Galéa, Denise Bonal et tant d’autres ! Il m’est impossible de tous les citer.
Je m’étais présenté à Jean-Paul Alègre sur le mode « Bonjour Monsieur Alègre. Je vous connais et vous ne me connaissez pas : j’ai beaucoup apprécié vos déclarations ce jour sur le théâtre de terrain » et il m’avait répondu du tac au tac. « Bien sûr que je vous connais : vous êtes Vincent Dheygre et vous avez écrit Le Roi est mort ! »
Je me souviens de ma première « présidence » : celle de la commission théâtre amateur composée de Claude Broussouloux, Robert Pouderou, (le gentleman du Poitou), Elie Presmann, et bien sûr Gérard Levoyer avec qui j’allais nouer une longue amitié.
Je me souviens de la première candidature en liste intitulée « Action-partage » aux élections du CA : Camille Sirota, Gauthier Fourcade, Philippe Alkemade, Jean-Pierre Thiercelin, Philippe Touzet, Marie-Ange Munoz et moi-même : liste qui a produit deux présidences pour un total cumulé de plus de onze ans à la tête de l’association.
Je me souviens des femmes de caractère aux E.A.T : la lumineuse et regrettée Emmanuelle Marie, Louise Doutreligne, Monie Grégo, Bagherra Poulain. Et de celles qui m’ont accompagné dans ma présidence : Sabine Mallet, Louise Caron, Michèle Laurence, Laura Pelerins.
Je me souviens de toutes celles et de tous ceux qui m’ont accompagné et soutenu ces six dernières années, dont Dominique Pompougnac à la loyauté d’airain, et David Ruellan dont la patience et l’humanité m’ont beaucoup apportés.
Je me souviens des coups de gueule d’Igor Futterer, des « points cancer » collectionnés consciencieusement par Christian Rullier sur ces paquets de clopes, des longs coups de fil et des champagnes de Didier Lelong.
Je me souviens d’un communiqué de presse des E.A.T dénonçant une violence policière sur ma personne lors d’une manifestation défendant l’intermittence.
Je me souviens de plusieurs discussions interminables et de la clef de douze sur la liste « forum » : une sur le référendum portant sur la constitution européenne, l’autre afin de réécrire six mois durant, quotidiennement, l’intégralité des statuts des E.A.T.
Je me souviens de la patience de Jean-Paul Farré à mon égard sous la culée du pont Alexandre III, d’une scène mémorable qui aurait pu tourner au pugilat en plein restaurant de la SACD, et d’une autre scène non moins mémorable où les membres masculins du bureau ont pris ensemble un bain de minuit en tenue d’Adam dans une grand piscine gonflable, en discutant tranquillement des affaires des E.A.T façon Yakuza. (M’en fous, je suis vieux, je balance !)
Je me souviens de l’amabilité et de l’élégance de Laurent Contamin dans tous nos échanges.
Je me souviens de la rencontre avec Jean-Pierre Canet et de nos échanges sur sa pièce Little Boy.
Je me souviens d’un discours au nom des E.A.T place de la République, un autre place de l’Hôtel de Ville, et un troisième au cœur du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, d’une invitation de l’Elysée à la cérémonie d’hommage national à Michel Bouquet que j’avais initialement pris pour un faux et classé illico à la rubrique « Spam ».
Je n’énoncerai pas ici les avancées importantes des E.A.T effectuées pendant mes deux mandats de président : je me souviens de chaque échec mais aussi de nos nombreuses victoires.
Je me souviens de tous les trésoriers dont ceux que je n’ai pas encore cité : Jean Renault, Éric Rouquette, Michel Caron.
Je me souviens de tout, de toutes et de tous. Je me souviens de la vie, du partage, de la fraternité, des mots d’auteurs aimables ou vachards, des sourires, des disparitions prématurées et des heureux évènements.
Je veux enfin exprimer mon immense reconnaissance, au nom de l’association, à Dominique Paquet pour ses actions, son énergie, ses précieux conseils : je t’embrasse, ma chère amie !
Merci à toutes et tous pour votre aimable compagnie.
Voilà mon histoire : je signe ces 25 ans pendant lesquels les E.A.T m’ont fait auteur, m’ont permis d’être membre à part entière de la famille du théâtre. Présider les E.A.T ces six dernières années fut un immense honneur, et je suis fier du travail accompli au service de notre chère organisation. Je tournerai la page lors de notre prochaine AG : viens me serrer la pogne ou me claquer la bise. Puis ce sera à toi d’écrire les pages suivantes de l’histoire des E.A.T.
Vincent Dheygre, président des EAT.