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Édito du mois d’avril

Que veut dire croire au théâtre aujourd’hui ? Que veut dire écrire pour le théâtre aujourd’hui ?
Que veut dire enseigner l’écriture dramatique aujourd’hui ?
Autant de questions que je pose chaque année depuis deux ans, lors de la journée consacrée à l’université de Toulouse au prix Prémices, prix d’écriture dramatique que j’ai fondé aux éditions Domens en 2021 à l’attention des étudiantes et étudiants du monde entier qui écrivent du théâtre en langue française. Même si les textes dramatiques actuels ne sont pas assez présents sur les scènes, même si on préfère aux auteurs vivants les auteurs morts, ce dont je suis convaincue, c’est que le texte de théâtre n’a pas atteint sa date de péremption. Il existe un vaste matrimoine ou patrimoine de pièces dans lesquelles toute compagnie peut puiser. Et il n’y a pas d’un côté la scène (qui exclut le texte) et de l’autre côté le texte (qui relève de la littérature). Non, car le texte de théâtre a quelque chose de plus que le roman, il est porteur de puissance : comme le poème, il déconstruit, il subvertit, et surtout il est entièrement tendu vers l’autre, il n’existe que par sa capacité d’adresse. Par son rapport à la parole, à l’espace, au silence, il nous plonge en plein mystère, en plein questionnement. C’est pourquoi, quand j’enseigne l’écriture théâtrale en atelier, il s’agit d’abord de déconstruire les représentations que nous avons du théâtre, comme lieu de mimesis de la réalité, ou comme mythe spontanéiste de l’expressivité (on écrit comme on parle, c’est facile et c’est du théâtre). C’est pourquoi les notions négatives, qui depuis longtemps servent à qualifier l’art théâtral, nous sont d’un grand secours. Sans elles, il n’y aurait pas de théâtre, comme l’ont souligné les théoriciens de la voie négative, tels l’artiste et pédagogue Jerzy Grotowski dans les années 70, ou aujourd’hui Valère Novarina, avec lequel, souvent, je travaille. Quand on écrit du théâtre, on commence d’abord à écrire contre le théâtre. Ensuite, on écrit contre le roman. la question n’étant pas « qu’est-ce que je vais raconter ? » mais : « qu’est-ce que je vais taire ? ». À toutes les étapes du travail, produire un texte c’est être capable de s’inscrire dans la ligne de partage du dit et du non dit, du dicible et du non dicible. Sans cette tension entre le dit et le silence, entre moi et l’autre, il n’y a pas de théâtre. La parole surgit dans un espace qui n’est pas innocent : l’espace éphémère d’une communauté, qui se trouve au même endroit le temps d’une représentation. De cette fonction sociale du théâtre, on ne peut jamais faire abstraction, car l’être-là, l’être-ensemble fugitif de la représentation, on ne le trouve ni au cinéma, ni dans son canapé face à Netflix.
Dans un de mes essais, où toujours j’explore les liens entre philosophie et théâtre, entre discours mystique et théâtre, j’ai inventé l’idée d’une « parole trouée ». Ce n’est pas seulement le texte de théâtre, mais notre parole, qui est trouée : au théâtre on fait l’expérience de l’altérité dans la langue, dans sa propre langue ressentie comme étrangère. Mais on fait aussi l’expérience de l’altérité à soi-même en proférant la parole théâtrale. Une expérience unique, que peu de monde a la chance de connaître, c’est comme une expérience de passage, une expérience d’initiation. Au plateau, on traverse un espace qu’on ne peut traverser nulle part ailleurs.


Lydie Parisse

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