du 20 au 30 mars 2024
avec les autrices et auteurs Laurent Contamin, Anne Houdy, Claire le Goff et David Ruellan
« Il n’y a pas de hasard. Enfin, pas vraiment. C’est comme le destin, le hasard. Ça n’existe pas. Ou bien ça s’invente. Ou ça se trouve sous le pas d’un cheval, ou dans le grenier d’une grand-mère, ou derrière un radiateur, ou dans les replis de cette fameuse étoffe dont on fait les songes. Pas de hasard, donc. La preuve, il faisait grand jour lorsque j’arrivais à Cahors, pour prendre place au cœur d’un paysage enchanteur où les fenêtres s’ouvrent sur des arbres à perte de vue, et dont je n’ai pu m’extraire qu’au prix d’un marathon, de Mercuès à Montauban, d’Agen à Bordeaux Saint-Jean… Pas
de hasard, ni à l’arrivée ni au départ. Car ce n’était sûrement pas le hasard qui avait glissé la peur derrière le radiateur. Elle attendait son heure, avec la patience du scolopendre qui guette le départ de
l’aspirateur.
À l’origine, c’est une autre pièce, La fin du monde est derrière nous, qui devait être mise à l’honneur ce printemps-ci. Lorsque nous avons décidé de lui substituer La peur est derrière le radiateur, je cheminai vers Saint-Lunaire, à deux pas de La Fourberie — des choses pareilles s’inventeraient-elles ? Une heure après, au sortir du sentier, je tombais nez à nez avec deux livres, deux petites balises sur le chemin des Inédits : La Peur de Maupassant qui décrit « cette sensation atroce, comme une décomposition de l’âme, un spasme affreux de la pensée et du cœur » et Miche et Drate, paroles blanches, pièce écrite cent vingt-cinq ans plus tard par Gérald Chevrolet, dont la première séquence s’intitule, elle aussi, « La peur ». Je fus assez stupéfait de découvrir le titre de la sixième séquence : « La fin du monde ». Pas de hasard, non. Pas de prédestination non plus, simplement des histoires qui nous tournent autour, comme nous tournons autour d’elles. Et c’est seulement à cet instant, au bout de ma balade sur le chemin de ronde, que je prenais conscience par l’entremise du gracieux texte de Gérald Chevrolet que mes deux pièces arpentaient un seul et même territoire, le spectre de la fin du monde n’étant rien d’autre que la peur par excellence.
Pas de hasard, rien que des histoires. Et des Inédits de Cahors pour en faire jaillir le sens, les semer le long du sentier, leur esquisser une perspective, un trait d’union inattendu, un contour de mystère
vêtu d’un manteau d’imprévu. » David Ruellan
« La vie est rapide et la route est lente / Où l’on s’émerveille » (Robert Desnos, 8 avril 1936)
« Grand jour que celui d’hier… Une belle rencontre dans ce petit théâtre de verdure où les élèves du Théâtre École de La Prade ont lu ma pièce avec humour à l’attention d’un public attentif, à l’attention des arbres, des nuages et des oiseaux. Le printemps était pile à l’heure et le vent léger. Tout était réuni pour cette belle journée… Merci à toi Dominique, à tes lecteurs, à ceux qui t’entoure. Les petites équipes font parfois de grandes choses… Merci pour ta maison, tes arbres, bonjour aux biches, aux moutons et aux éléphants qui finalement ne sont pas venus. » Anne Houdy
« Des fenêtres, donc. Et des arbres.
C’est le printemps.
Du belvédère, on voit les chênes verts, les oliviers. Quelques arbres fruitiers en tenue blanche, aussi. Le matin, la brume s’attarde sur les versants, côté sud, coule mollement
comme de la neige jusqu’au creux qu’on ne voit pas, où passe le sentier. C’est le petit matin, la lune tarde à se coucher.
On a répété ce drôle de spectacle, qui n’en est pas vraiment un, qui est à cheval entre le conte, la performance plastique, le théâtre – il y a des fenêtres que Dominique ouvre, c’est comme un calendrier de l’Avent, mais en plus varié. Chaque arbre ouvre plusieurs fenêtres dans le livre géant. Dans ces fenêtres, des dessins, des objets, du théâtre de papier… Dès la répétition, on sent bien que « ça marche » : Dominique ouvre le livre-fenêtre tel le Génie de la Terre dont je parle dans l’Histoire, celui qui crée tous les arbres.
Peut-être est-ce un arboretum vertical, au fond ? Un herbier à surprises ? Voici une pomme, un chêne se transforme en château, voici un renard, une sauterelle, une feuille de platane, un campagnol… Les réflexes du dialogue entre parole, pensée et action scénique, le ping-pong entre Dominique et moi, ça revient très vite. Il y a une évidence, une fluidité. La marionnette, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. On retrouve nos marques en une demi-journée.
Le premier jour, donc, on répète une première fois pour caler quelques rendez-vous entre texte et scénographie. Des ponctuations. C’est ça : on se partage une partition de ponctuations, et aussi des circulations entre Dominique et moi d’intentions, de regards, des passages de relais. On fait un filage, aussi, pour que ça se consolide dans la mémoire du corps, que ça infuse, et puis on dort dessus.
Vendredi, direction la maternelle de Flaujac-Poujols. Trois sections, les petits les moyens les grands, une bonne quarantaine d’élèves. On propose de faire deux séances : les moyens et les grands représentent la moitié de l’effectif, on enchaîne les sept histoires, ça réagit bien, on termine par un petit bord de scène : qu’est-ce qu’ils ont aimé ?
Beaucoup parlent de la hache dans l’histoire du hêtre pourpre, du renard coincé dans le cèdre… Le pommier a son petit succès aussi, et le lucane cerf-volant du chêne, avec son vrombissement d’hélicoptère…
Petite pause pour refaire la mise, on enchaîne avec les « petits » : 3-4 ans. Les voilà qui entrent dans la salle en faisant « le petit train », les mains sur les épaules de devant… On décide de faire plus court, pour eux : les trois premières histoires. Et puis comme il s’avère qu’ils sont toutes ouïes et toutes prunelles, on prolonge au débotté avec une quatrième. Nouveau bord de plateau. Très belle écoute, très beaux échanges. On comprend que ce spectacle peut fonctionner ainsi, à géométrie variable : 3, 4, 5, 6 ou 7
arbres…
Le lendemain, rendez-vous avec le « tout public » à la médiathèque du Grand Cahors.
Merci aux bibliothécaires qui nous reçoivent avec chaleur et intérêt. L’espace conte est investi, on monte le petit castelet. Deux représentations sont prévues, pour un public familial, souvent avec de très jeunes enfants. Le fait de jouer plusieurs fois « assouplit » la diction du texte, comme un cuir. On commence, Dominique et moi, à bien l’appréhender : « ça rentre » : envie, du coup, de prolonger l’aventure, d’aller colporter nos histoires d’arbres, d’essaimer un peu plus loin !
Visite du vieux Cahors grâce à Dominique, excellente table au bord du Lot, sous un soleil qui perd peu à peu de sa timidité, balades en surplomb du méandre d’abord, sur le GR65 ensuite, dans le fond, parmi les dolines et les truffières. Pérégrins dans un bain d’arbres – en plus de ceux du spectacle : quelques noisetiers, des ormeaux. Chênes pubescents et arbres de Judée. Et le lilas qui commence à fleurir !
Merci à Dominique, aux Inédits de Cahors, aux E.A.T-Occitanie, pour tous ces avènements printaniers, ces pollens aux quatre vents, ces fenêtres qui s’ouvrent ! » Laurent Contamin