Le conseil d’administration des E.A.T s’est réuni en conseil extraordinaire le 15 octobre 2024, à la suite de la présentation, par ARTCENA, des nouvelles modalités d’accès à l’aide à la création de textes dramatiques.
Dans une newsletter datée du 10 octobre, ARTCENA annonce que chaque dossier de demande d’aide à la création doit désormais être accompagné d’une lettre de recommandation, signée par un professionnel du secteur, répertorié dans une liste déterminée.
Les E.A.T sont mentionnés, au titre de comité de lecture (CDL), sans avoir été, au préalable, ni consultés ni informés. La lettre, indispensable au dépôt du dossier, doit attester que le texte déposé contribue au renouvellement et/ou à l’innovation des écritures contemporaines.
À la suite de nombreuses réactions spontanées, ARTCENA, le 11 octobre, renvoie une newsletter et concède que cette lettre de recommandation pourrait être facultative.
Les E.A.T, en tant que seule organisation professionnelle représentant les auteurs et les autrices dramatiques au niveau national, reconnaît la grande utilité de l’aide à la création d’ARTCENA qui a permis l’émergence d’auteurs et d’autrices éloignés des réseaux du spectacle vivant comme la confirmation d’auteurs et d’autrices déjà engagés sur un chemin professionnel. En revanche, aux côtés de nombreux auteurs et autrices, CDL, compagnies conventionnées, structures labellisées… cités dans la liste référente, il lui semble que cette nouvelle modalité, même facultative, ne saurait aller dans le sens d’une nécessaire vitalité de l’écriture dramatique.
Le CA des E.A.T, réuni en conseil extraordinaire, se prononce donc résolument contre le principe d’une lettre de recommandation, même facultative, comme nouvelle modalité pour accéder à l’aide à la création d’ARTCENA et demande le retrait pur et simple de cette modalité.
Il prend acte de la volonté d’ARTCENA d’ouvrir le dialogue pour trouver des solutions à la trop forte augmentation d’envois de textes inachevés, qui a justifié cette nouvelle modalité et propose son aide dans cette recherche de solutions.
Ensemble, restons ouverts à toutes formes d’écritures dramatiques, la création artistique, la liberté de l’artiste et, par-là, la liberté d’expression, ne doivent en aucun cas être cautionnées par une lettre de recommandation.
Type d’actualité : La parole aux auteurs/autrices
Édito du mois d’octobre 2024
Très certainement, il pourrait y avoir un panorama plutôt sombre à dresser.
Le paysage politique trop brun, la baisse des diffusions de spectacles et donc déjà ou bientôt la baisse des revenus d’auteurices, la perspective d’un meilleur statut pour les artistes-auteurs qui s’éloigne, l’inflation qui impacte les coûts de production des livres, le changement du mode de répartition de la copie privée numérique par la Sofia qui entraîne une perte de revenus brutale…
Depuis plusieurs mois, au cœur de la maison des éditions Théâtrales, nous nous demandons comment nous pouvons, dans cette tempête générale, imaginer une entraide possible et concrète entre auteurices et éditeurices.
Comment agir autrement que dans l’élan du sauve-qui-peut et du chacun-sa-peau ?
Depuis 2015, sous l’impulsion de Pierre Banos, Gaëlle Mandrillon et Jean-Pierre Engelbach, notre maison est devenue une société coopérative d’intérêt collectif. L’horizontalité, l’échange, la solidarité infusent déjà notre fonctionnement marqué par l’entrée des auteurices dans le sociétariat.
Depuis juin 2024 et le départ de Jean-Pierre Engelbach qui était gérant de la maison après en avoir été et le fondateur et le directeur, nous poursuivons la transformation. Trois auteurices ont pris la cogérance des éditions Théâtrales pour soutenir et accompagner la formidable équipe éditoriale, artistique et commerciale de la maison.
Nous sommes convaincus que les membres de l’écosystème théâtral – auteurices, éditeurices, artistes, lieux culturels, publics – ont intérêt à travailler ensemble, que la coopération peut être un vecteur d’émancipation et qu’elle peut devenir la source et la garante d’une diversité et d’une pluralité de voix, d’écritures, de langages. Pluralité dont nous aurons plus que besoin dans les temps qui s’annoncent.
Sylvain Levey, Lola Molina et Clémence Weill
Cogérants des éditions Théâtrales
Édito du mois de septembre 2024
22 Août, en région parisienne : une odeur de feuilles mouillées flotte dans l’air qui s’est rafraichi. Ce n’est plus tout à fait l’été mais pas encore l’automne. Ce n’est plus tout à fait les vacances mais pas encore la rentrée. Et cette émotion mi-figue, mi-raisin, m’incite à écrire cet édito sur un mode plus personnel qu’à l’habitude.
J’ai encore en tête les belles images du mois de juillet à Avignon. Ce sont celles d’une association dynamique, profondément humaine, diverse, variée, talentueuse, souriante, émouvante, reconnue comme une interlocutrice importante -sinon majeure- par tous ses partenaires et par tous ses membres : un petit état de grâce, une douce trêve estivale hors du temps, sinon de l’espace.
Je remercie chaleureusement toutes et tous, partenaires, membres du bureau et du conseil d’administration, adhérentes et adhérents, salariées et stagiaire, et nos chères délégations pour avoir contribué de près ou de loin à ce sentiment d’accomplissement dans l’exercice de notre art, le théâtre.
Parmi tous les spectacles que j’ai vus, celui qui m’a le plus ému, le plus bougé, est sans conteste Les Voiles écarlates de Stéphane Titelein, compagnie Franche Connexion. Son argument est magnifique : « Et si je pouvais offrir à mon père la victoire de son engagement ? » ou comment convaincre son père mourant que le PCF a enfin remporté les élections…
Dans le grenier d’une maison familiale, un fils fait le bilan de la vie militante de son père, et se lance dans le récit des luttes passées, des souvenirs vaporeux de l’enfance, de la colère immense et fière de l’ouvrier. Un vent d’espoir se lève, gonfle les voiles écarlates du rêve, et bâtit un rempart non pas contre la mort mais contre le fatalisme.
Le théâtre est un art éminemment politique, opposant par nature du pouvoir en place : il interroge sans concession la réalité du monde et prend acte des noirceurs et lumières de l’âme humaine, tout en offrant l’espoir d’un « meilleur », en rassemblant acteurs et spectateurs.
En cette fin de mois d’août, dans une curieuse nostalgie de l’enfance (et même, soyons fous, de ses devoirs de vacances), je suis fier, honoré, heureux, de présider aux luttes des E.A.T pour la sixième saison consécutive, et je nous souhaite de l’encre dans nos stylos, des feuilles blanches et écarlates sur nos bureaux, de la force dans nos bras, de l’air dans nos poumons afin de transformer nos colères et indignations en textes et actions fécondes, sans pour autant oublier de rêver, ni de nous rassembler.
Vincent Dheygre, président des E.A.T
Communiqué E.A.T : Au bord de l’abime : second tour des élections législatives 2024
Autrices, Auteurs ,
Ce week-end, les urnes ont parlé. Et le message qu’elles ont délivré est d’une simplicité redoutable : seul le RN est encore en mesure d’accéder à la majorité absolue à l’assemblée au second tour. Ce n’est plus (ou pas encore) le moment de rechercher les causes et responsabilités de cette montée ininterrompue du nationalisme depuis 1983, date de son premier « succès » électoral à Dreux.
Il n’est pas dans l’ADN des Ecrivaines et écrivains Associés du Théâtre de donner des consignes de vote, par égard et par respect de l’intime conviction du citoyen démocrate dans l’espace sacré de l’isoloir. La maison commune des auteurs du spectacle vivant et de l’audiovisuel, la SACD, n’en donne pas non plus mais a fort utilement exposé les programmes culturels de chacun des partis en lice.
Et si j’évoque la SACD, c’est que la défense et la mise en œuvre du Droit d’auteur qui constitue son socle fondateur est issu de la République, et que cette République -terriblement imparfaite, utopique, ballotée par l’Histoire, harcelée par des mauvais génies de l’intérieur et de l’extérieur- nous a beaucoup donné, à nous, autrices et auteurs.
Je pourrais me cantonner strictement aux secteurs d’activité de nos professions pour dénoncer le programme du RN : privatisation de l’audiovisuel public, suppression de l’intermittence, assèchement de l’aide de l’état aux artistes-auteurs et aux organisations qui les représentent, et le cortège des non-dits qui en découle : limitation de la liberté de création et d’expression, muselage de la presse, disparition des échanges à l’international entrainant de facto un appauvrissement catastrophique de la culture et de la pensée, impossibilité de poursuivre nos missions, dont celles d’émanciper par l’éducation populaire, d’alerter sur les dérives contemporaines, sur les excès furieux du monde et sur les dérèglements humains qui conduisent à la ruine, à la misère, à la destruction et à la guerre. Alerter, construire, transmettre comme Aristophane, Molière, Duras, Brecht, comme tant d’autres avant nous.
Mais je suis et nous sommes des autrices et des auteurs de théâtre, au cœur de cet art qui lui-même est le cœur battant de la Cité. Nous sommes autrices et auteurs de théâtre et comme tels, l’humain est au centre de nos préoccupations. Nous sommes autrices et auteurs de théâtre et aussi des actrices et des acteurs dans la marche du monde. Nous avons besoin de l’altérité, de la diversité, de l’ouverture au monde et à l’autre, non pas seulement comme sujets de nos œuvres mais comme les fluides vitaux qui irriguent notre corps tout entier.
Or, la haine, hideuse et suicidaire, gonfle et gonfle encore, s’infiltre dans toutes les strates de la société française, crée des communautés de façade, embrigade la raison, détruit peu à peu ce qui nous unissait ainsi que les valeurs transmises par Condorcet, Olympe de Gouges, Beaumarchais, Hugo et toutes celles et tous ceux qui nous ont précédés.
Le RN, qui porte le vocable de la haine jusque dans son acronyme prononcé à haute voix, est aux portes du pouvoir. Il ne faut pas gratter beaucoup pour que le vernis craque et qu’en-dessous on retrouve cette haine, vieille, rance, maintes et maintes fois recuite, de l’étranger : la haine de l’autre, accompagnée de ses acolytes le racisme, le sexisme, l’antisémitisme, la discrimination, pour faire la peau de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité.
C’est le RN qui veut nous tenir barricadés derrière nos frontières et derrière les murs de nos maisons, assignés à résidence par sa conception carcérale et ô combien restrictive d’une identité nationale fantasmée.
C’est le RN qui préempte tous les sujets porteurs d’avenir afin de les asservir à son projet nihiliste. Ce sont ces sujets sur lesquels nous devons trancher afin de donner une chance aux générations futures de poursuivre le travail accompli et de continuer à tenter de soigner les plaies de la France et du monde.
Mieux répartir les richesses, assurer l’égalité des chances, lutter contre les discriminations, soutenir l’éducation, la recherche, la santé, la culture, la laïcité, maintenir la paix en France et l’assurer sur notre continent, assumer en responsabilité notre place en Europe et dans le monde, lutter contre le réchauffement climatique : la tâche est immense, les obstacles innombrables sur cette voie qu’il nous faut garder ouverte le 7 juillet.
Aussi, afin de parer à l’urgence, afin d’avoir encore la possibilité de penser le monde de demain, afin de continuer à construire notre communauté de destin, et pour « empêcher que le monde se défasse » comme le disait Camus, nous devons, nous, autrices et auteurs de théâtre, faire en sorte que pas une de nos voix ne manque pour faire barrage au Rassemblement National, afin de pouvoir continuer de porter et de défendre les valeurs républicaines partout où elles sont menacées.
Vincent Dheygre, président des E.A.T
Édito du mois de juillet
Pourquoi aller à Avignon ?
Évidemment la réponse n’est sans doute pas la même pour le IN et pour le OFF mais force est de constater que dans le IN, on se passe souvent de nous, les auteur.rices vivant.es. On adapte, on improvise, on monte un spectacle « d’après » l’œuvre de quelqu’un, rarement vivant d’ailleurs. Comme dirait les Rita Mitsouko « c’est comme ça ».
Cela étant dit, cette année ce qui lie le IN et le OFF c’est que même les Scènes nationales souffrent de réductions de budgets. Personne n’est en reste. Mais là où certaines compagnies risquent tout bonnement de disparaître et les théâtres de fermer, les spectacles des scènes nationales seront peut-être juste un peu moins fastes mais ils seront toujours là. (Enfin espérons-le…)
Non, pour nous les auteur.rices vivant.es, c’est surtout dans le OFF que cela se passe. C’est là que nous sommes en nombre, que nos spectacles sont montés et que nous nous retrouvons d’année en année comme pour faire le point et nous donner des nouvelles. Des spectacles, il y en a pour tous les goûts, pour tous les âges et c’est tant mieux. Alors venir là, dans ce vivier de création, c’est découvrir ce que les autres proposent, échanger, dire comment chacun fait, ce qu’il invente dans ce monde sans cesse en mutation et qui pourtant paraît si statique. C’est dialoguer pour faire bouger les lignes. C’est chercher d’autres façons de continuer pour ne pas se résigner à se voir confisquer les scènes, pour maintenir l’exigence de notre rôle de trublion de la société, ou l’impérieuse nécessité du regard aigu et empathique que nous portons sur le monde. C’est se serrer les coudes et dire que nous ne céderons pas sur notre désir de continuer à écrire car, et nous le savons tous, l’impuissance, à laquelle nous sommes parfois assignés, est délétère.
Édito du mois de juin
Depuis toujours je travaille sur le cri
Du cri primal au dernier souffle
Le cri écrit
Le cri la vie
Au théâtre la confidence
le silence même
sont des cris
Le cri parce qu’il saisit
Non pas partant de l’intérieur
C’est le dehors qui saisit le dedans
provoque focalise
impulse amour ou révolte
souvent les deux ensemble
comme l’air entrant dans les poumons du nouveau-né invente la respiration et brûle
Le cri ouvre au monde
Je dois continuer
Chaque cri élargit
Etre au monde c’est cela
Ouvrir scruter vibrer
Le monde par un curieux retour de bâton cherche à faire taire
en mettre plein la bouche
gaver
rendre dodu
Le monde nous colle une tétine
Il nous faut cracher
comme crier
comme créer
Nos éCRIts sont mal foutus
tant mieux
bruts dérangeants
parfait
troués bizarres
très bien
questionnants énigmatiques
allons-y
J’aime intervenir dans le monde scolaire
donner aux élèves l’espace du cri
vie confidence silence
J’y suis poli souriant avenant
Ce que nous avons à transmettre est autrement subversif
Édito du mois de mai
Ce fut un grand honneur de participer au comité de lecture tout public des Écrivaines et Écrivains Associés du Théâtre en tant que lectrice pendant 5 ans et de le présider durant ces deux dernières années. Un grand honneur qui allait bien sûr avec une grande responsabilité vis-à-vis des auteurs et autrices qui nous avaient confié leurs textes.
La lecture d’une pièce de théâtre est par nature très subjective. Aucun comité ne peut garantir qu’il va repérer tous les textes « remarquables », certains passeront toujours entre les mailles du filet…
Avec seulement deux lecteur.ices à chaque étape, un texte peut avoir la malchance de tomber sur deux personnes qui ne l’apprécieront pas, alors que la majorité l’aurait trouvé intéressant. Nous n’avons pas trouvé mieux, néanmoins, pour l’instant, que ce système en entonnoir.
La grande question qui se pose chaque année au moment de l’appel à textes (et à laquelle chaque président.e apporte la réponse qu’il souhaite) est de savoir si on limite ou non le nombre de textes acceptés. Pour ma part, j’étais contre : il n’y a déjà qu’une seule journée par an pour soumettre un texte et il faudrait en plus que les auteur.rices envoient leur message à 12h pile, sachant qu’à 12h14 environ le quota de 100 textes serait déjà atteint…
La contrepartie de cette décision a été cette année de devoir prendre en charge 344 textes, et ce malgré un budget en baisse. Et pourtant, je ne le regrette pas. On a toujours peur de passer à côté d’un chef-d’oeuvre, mais c’est pour moi encore plus vrai quand c’est seulement la capacité de l’auteur.ice à envoyer son texte dans un laps de temps réduit qui est décisive.
Je remercie de tout cœur l’équipe des lecteur.ices pour le temps qu’elle a consacré à ces nombreux textes, ainsi que pour son dévouement, son sérieux, sa bonne humeur et pour la qualité de nos échanges.
Et je souhaite longue vie à nos comités de lecture (tout public et jeunesse) !
Ève-Marie Bouché
Présidente du comité de lecture tout public des E.A.T
Édito du mois d’avril
Que veut dire croire au théâtre aujourd’hui ? Que veut dire écrire pour le théâtre aujourd’hui ?
Que veut dire enseigner l’écriture dramatique aujourd’hui ?
Autant de questions que je pose chaque année depuis deux ans, lors de la journée consacrée à l’université de Toulouse au prix Prémices, prix d’écriture dramatique que j’ai fondé aux éditions Domens en 2021 à l’attention des étudiantes et étudiants du monde entier qui écrivent du théâtre en langue française. Même si les textes dramatiques actuels ne sont pas assez présents sur les scènes, même si on préfère aux auteurs vivants les auteurs morts, ce dont je suis convaincue, c’est que le texte de théâtre n’a pas atteint sa date de péremption. Il existe un vaste matrimoine ou patrimoine de pièces dans lesquelles toute compagnie peut puiser. Et il n’y a pas d’un côté la scène (qui exclut le texte) et de l’autre côté le texte (qui relève de la littérature). Non, car le texte de théâtre a quelque chose de plus que le roman, il est porteur de puissance : comme le poème, il déconstruit, il subvertit, et surtout il est entièrement tendu vers l’autre, il n’existe que par sa capacité d’adresse. Par son rapport à la parole, à l’espace, au silence, il nous plonge en plein mystère, en plein questionnement. C’est pourquoi, quand j’enseigne l’écriture théâtrale en atelier, il s’agit d’abord de déconstruire les représentations que nous avons du théâtre, comme lieu de mimesis de la réalité, ou comme mythe spontanéiste de l’expressivité (on écrit comme on parle, c’est facile et c’est du théâtre). C’est pourquoi les notions négatives, qui depuis longtemps servent à qualifier l’art théâtral, nous sont d’un grand secours. Sans elles, il n’y aurait pas de théâtre, comme l’ont souligné les théoriciens de la voie négative, tels l’artiste et pédagogue Jerzy Grotowski dans les années 70, ou aujourd’hui Valère Novarina, avec lequel, souvent, je travaille. Quand on écrit du théâtre, on commence d’abord à écrire contre le théâtre. Ensuite, on écrit contre le roman. la question n’étant pas « qu’est-ce que je vais raconter ? » mais : « qu’est-ce que je vais taire ? ». À toutes les étapes du travail, produire un texte c’est être capable de s’inscrire dans la ligne de partage du dit et du non dit, du dicible et du non dicible. Sans cette tension entre le dit et le silence, entre moi et l’autre, il n’y a pas de théâtre. La parole surgit dans un espace qui n’est pas innocent : l’espace éphémère d’une communauté, qui se trouve au même endroit le temps d’une représentation. De cette fonction sociale du théâtre, on ne peut jamais faire abstraction, car l’être-là, l’être-ensemble fugitif de la représentation, on ne le trouve ni au cinéma, ni dans son canapé face à Netflix.
Dans un de mes essais, où toujours j’explore les liens entre philosophie et théâtre, entre discours mystique et théâtre, j’ai inventé l’idée d’une « parole trouée ». Ce n’est pas seulement le texte de théâtre, mais notre parole, qui est trouée : au théâtre on fait l’expérience de l’altérité dans la langue, dans sa propre langue ressentie comme étrangère. Mais on fait aussi l’expérience de l’altérité à soi-même en proférant la parole théâtrale. Une expérience unique, que peu de monde a la chance de connaître, c’est comme une expérience de passage, une expérience d’initiation. Au plateau, on traverse un espace qu’on ne peut traverser nulle part ailleurs.
Édito du mois de mars
25 ! Le Syndicat National de l’Édition (SNE) vient de révéler ce chiffre frappant : 25% du chiffre d’affaires de l’édition reviendrait aux auteurs – l’éditeur ne disposerait pour sa part, une fois ses coûts directs assumés, que de 18 % de ce chiffre d’affaires. Le livre profiterait donc davantage aux auteurs qu’aux éditeurs ?
Ce pourcentage, choquant pour les auteurs, est le fruit d’une étude récente commanditée par le SNE lui-même et s’appuyant principalement sur les données fournies par les groupes éditoriaux dominant le marché français, Hachette, Editis, Madrigall, Media Participations, et par quelques maisons de taille moyenne. L’ambition de l’étude est de donner un éclairage sur la réalité de l’économie de l’édition.
Mais qui dit éclairage – et les gens de théâtre le savent d’expérience – dit choix de ce que l’on veut éclairer, et de ce que l’on prend soin de laisser dans l’ombre. L’étude, d’emblée, écarte une donnée pourtant essentielle : les grands groupes éditoriaux s’appuient sur des outils de diffusion/distribution qui, grâce à la circulation aller-retour des livres entre éditeur et libraires, sont une source de profits substantiels. Pourquoi laisser croire que la situation d’un grand groupe éditorial est la même que celle d’un petit éditeur indépendant, dépendant lui du contrat qu’il va signer avec un groupe puissant pour assurer la diffusion/distribution de ses livres ?
Alors que les auteurs peinent à imposer dans leurs contrats d’édition le chiffre 10 comme taux de rémunération proportionnelle sur le prix public hors taxe de chaque ouvrage vendu, brandir ce chiffre de 25, c’est faire comme s’il correspondait à la réalité vécue par l’immense majorité des auteurs de livres. Or cette réalité là, on la connaît. Elle est documentée depuis 2015 grâce à une étude du ministère de la Culture. Quelques mots la résument : fragilité économique, précarisation croissante.
L’étude du SNE affiche un contre-chiffre pour marquer les esprits – ceux de nos élus ? ceux des nouveaux arrivés à la tête du ministère de la Culture ? Elle ne saurait mettre un terme à la discussion plus que jamais nécessaire sur le partage de la valeur.
Christophe Hardy
Président de la SGDL (Société des Gens De Lettres)
Édito du mois de février
on ne peut pas écrire « du théâtre »
on écrit pour le théâtre, en sa direction ; l’auteur, le corps de l’auteur (il n’est que ça) est tendu vers. il fantasme le corps et le souffle des comédiens qui joueront ses mots, c’est un truc sensuel l’écriture en vrai
un truc de langue, de corps, un truc à trous aussi. surtout.
quéquidit ?
si tu remplis tous les trous, Don Juan, y’aura plus d’ place ! Plus d’ place pour rien ! Plus d’ place aux imaginaires ! racle à l’os ! dis pas tout ! fais pas ta tête à claque, Mr-Je-Sais-Tout ! le metteur-en-scène va vouloir venir mettre son petit drapeau sur ton œuvre, jouer au plus malin (il faut qu’il tienne le navire, pardi !). lui — le pauvre — joue à la marelle dans tes flaques — entre tous tes trous — il met de l’ordre et ajoute les siens. des trous dans des trous, un abîme sidéral et sidérant — règle capitoche — pour que le public dédaigne Netflix. (on dit que la téloche c’est vide, mais non, c’est confortablement plein la téloche — jamais de surprise)
la liberté de l’acteur. la seule chose qui vaille. aimer d’amour nos faiseurs de Présent — nos alchimistes du Verbe — leur permettre la Liberté Libre. les vouloir libres dans nos silences, les laisser les remplir — non pas de nos Belles Lettres, mais de leur vie, de leur sueur, de leurs échecs, de leurs espoirs. de leur peau qui frissonne dans nos trous, de tout ce que nous ne serons jamais plus.
à nos acteurs, et nos actrices tellement — nos jongleurs d’abîme : Merci putain.
Alan Payon, Auteur, interprète, marionnettiste
Autre chose est possible